Le Quotidien d’Oran - 29.07.2021
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J’ai suivi avec une attention
particulière, à travers la presse et les médias sociaux, les interventions de
certains responsables du ministère de l’Enseignement supérieur (MESRS) qui ont
marqué et stimulé mes réflexions pédagogiques à propos des perspectives et
projections futuristes de l’université algérienne dans le domaine de la
recherche scientifique, les réformes des curriculums de formation des sciences
de la santé, les réformes des concours hospitalo-universitaires ainsi que le
déploiement des compétences professionnelles au service de la société. Ces
projets de développement cadrent bien avec les missions
fondamentales et les valeurs de toute université pour fournir à la société des
professionnels compétents et autonomes, mais aussi de créer des passerelles
entre les établissements d’enseignement supérieur et leur environnement
socioéconomique afin de mobiliser le potentiel et l’expertise scientifique pour
soutenir le développement humain et durable de la société.
Cette contribution est un prolongement aux
vocations de l’université à propos de la pédagogie en général et l’impact des
pratiques pédagogiques en particulier, et notamment sur la qualité des
formations universitaires et des sciences de la santé ainsi que le
développement des compétences disciplinaires. Pour ce faire, mon devoir et rôle de citoyen
algérien m’interpelle de faire entendre ma voix, à l’instar de tout
universitaire et de tout hospitalo-universitaire désirant concrétiser l'idée de
l'amélioration des apprentissages et des pratiques pédagogiques en contexte de
l’enseignement supérieur. De plus, il est également de mes préoccupations
premières de servir mon pays, la société et d'être utile à la corporation
universitaire et médicale, et surtout de proposer et procurer des pistes de réflexion afin de doter les
enseignants universitaires d’une double expertise respectivement disciplinaire
et pédagogique.
Il est
important de signaler d’emblée que l'enseignement constitue la mission première
de toute université, et cela devrait être plus que jamais au cœur des
préoccupations du MESRS d’autant que les problématiques de l’université algérienne
sont multidimensionnelles comme dans la plupart des universités du monde, mais
pour faire de nos universités des lieux d'apprentissage crédibles et innovants
au service de la société, un fondamental est souvent oublié : la pédagogie. Or,
c'est par la pédagogie que fonctionne l'université en tant qu'instance de
construction des savoirs.
En effet, la pédagogie est à la
base de l'amélioration des formations universitaires centrées sur les
apprenants et les apprentissages, d'autant qu'il existe une relation
significative entre la qualité de l'enseignement dispensé et l'apprentissage en
profondeur réalisé visant à fournir à la société des professionnels compétents.
Il y a donc tout lieu de soutenir qu'enseigner en milieu universitaire n'est pas
aussi simple qu'on le prétend ; c’est une pratique pédagogique beaucoup
plus complexe, car « personne ne commence par bien enseigner, enseigner à
l’université ça s’apprend » Herbert Kohl.
Pour ce
faire, chaque université et chaque faculté de médecine doit être soumise
socialement à une obligation de satisfaire les besoins pédagogiques de ses
apprenants et de faire connaitre ses compétences et son professionnalisme par
la manifestation de son savoir-faire en pédagogie universitaire et en pédagogie
des sciences de la santé. En d'autres termes, il est de la responsabilité de
chaque université et faculté de médecine de se procurer une visibilité
académique par l'affirmation de la qualité de ses pratiques pédagogiques et par
son engagement social à promouvoir les compétences professionnelles dans un
contexte défavorable où cohabitent deux systèmes de formation obsolètes : classique et LMD (Licence — Master —
Doctorat). À
vrai dire, si le modèle du curriculum de formation importe aussi, ce sont les
pratiques pédagogiques innovantes qui permettent véritablement le développement
de l’expertise disciplinaire et la mobilisation des compétences au service de
la société en général et pour soutenir les besoins socioéconomiques du pays en
particulier.
Depuis l’introduction du LMD au sein de
l'université algérienne, les enseignants et les apprenants espéraient beaucoup
de ce curriculum sur le plan de l'amélioration des formations, des
enseignements et des apprentissages, mais il n'en fut rien. Au contraire, il a
été observé une régression dans sa perception et valorisation à tel point que
la communauté universitaire continue à préférer d'évoluer dans un curriculum
vétuste dit classique.
De plus,
la refonte des programmes disciplinaires ou de leur réingénierie en vue du LMD
ne s'est pas faite au préalable, et cela sans encadrement des pratiques
pédagogiques auprès des corps enseignants. Le soutien, notamment des
enseignants formateurs et des comités pédagogiques, était quasi inexistant et
l'infrastructure de soutien à l’enseignement n'a pas été coordonnée
adéquatement. Par la suite, certains responsables antérieurs du MESRS avaient
publié des textes et des arrêtés ministériels afin de relancer la pédagogie universitaire
et des sciences de la santé, mais hélas sans l’effet escompté autant pour la
formation des formateurs que pour l’accompagnement pédagogique, car il n’y a
jamais eu de véritable « débat sur la pédagogie » impliquant les
experts avérés en pédagogie et surtout avec la communauté universitaire et
hospitalo-universitaire.
Hélas, les mêmes errances se produisent
actuellement pour les réformes des curriculums de formations médicales et les
réformes des concours hospitalo-universitaires. En effet, s’agit-il d’une
réforme ou d’une refondation du curriculum de formation médicale et des
concours hospitalo-universitaires en Algérie ? car la réforme est un retour à
une pratique pédagogique meilleure, généralement antérieure à l’action de la
réforme. Quant à la refondation ou refonte, c’est le fait de fonder sur de
nouvelles bases pédagogiques.
L'université algérienne est-elle vraiment
aussi centrée sur la recherche qu'on le prétend ? Est-elle autant réfractaire au changement et à l'innovation
pédagogique ? Et pourtant, la pédagogie universitaire et des sciences de
la santé représentent les facteurs essentiels à même de créer les conditions
nécessaires pour que les enseignants du supérieur contribuent à l'émergence
d'une culture pédagogique au sein de leurs établissements et facultés de
médecine et à l'amélioration qualitative des formations médicales et
universitaires, mais aussi de l'émergence d'une société plus dynamique et
prospère sur le plan socioéconomique. Ainsi, les stratégies pour
valoriser les pratiques pédagogiques afin
d’améliorer la qualité des formations sont nombreuses et espérant que le MESRS
manifeste un écho favorable et qu'elle soit sensible aux enjeux de la mutation
de l'université dans le domaine de la pédagogie.
Il est fondamental que le MESRS prenne des
résolutions concrètes pour donner du sens et de la visibilité à l'acte
d'enseigner et aux pratiques pédagogiques en leur accordant un appui qui va
au-delà des bonnes intentions et paroles des responsables universitaires sur
son intérêt, et cela, sans que le soutien à l'acte d'enseigner soit traduit et
perçu comme un manquement à la vocation de recherche de l'université. Cela
consiste à accroitre sa reconnaissance au sein de l'environnement universitaire
et de procurer de la valeur à l'ensemble des activités de planification
pédagogique.
Le MESRS peut promouvoir l’initiative de
proposer de nouveaux modèles pour reconnaitre et récompenser les deux volets,
recherche et enseignement, de la mission universitaire et d'adopter des mesures
plus égalitaires en matière de valorisation et de promotion des enseignements
universitaires. Ce modèle peut prendre appui sur une parité claire et
transparente entre le dossier enseignement et le dossier recherche.
Pour ce faire, le MESRS est invitée à encourager
la préparation et la rédaction du dossier d'enseignement par les enseignants
universitaires en exercice, et de l'intégrer dans les critères de promotion
professionnelle, de nomination et de renouvellement de contrat des chargés de
cours. En d'autres termes, il est plus que nécessaire que le dossier
d'enseignement occupe une place importante dans la progression de la carrière
professorale et que le volet enseignement compte autant que le volet recherche.
Il est important que le dossier enseignement
reflète l'excellence en enseignement et qu'il soit connu et reconnu
respectivement par les pairs et l'administration universitaire pour les
enseignants qui se distinguent, car la règlementation évoque rarement les
réalisations des enseignants dans le domaine de la pédagogie. En d’autres
termes, les textes qui régissent le fonctionnement de l'université accordent
peu d'importance et d’intérêt aux travaux et réalisations des professeurs en
matière d'enseignement ou en pédagogie universitaires. À ce titre, il faudrait
instaurer un prix d'excellence en enseignement au niveau de chaque université
afin de promouvoir le dossier enseignement et les pratiques pédagogiques de
qualité au sein de la communauté universitaire.
Encourager les enseignants à rédiger un
dossier d'enseignement constitue un signal fort de valorisation de
l'enseignement et des pratiques pédagogiques en milieu universitaire et
hospitalo-universitaire. En effet, recommander la rédaction d'un dossier
d'enseignement constitue un geste concret de la part du MESRS et de son
engagement certain en faveur de l'amélioration des enseignements et des
formations universitaires. Cela constitue également un geste tangible que
l'acte d'enseigner et l'enseignement occupent des places importantes parmi les
autres missions de l'université. Pour ce faire, il est essentiel que le MESRS
révise les normes de progression des carrières tout en intégrant la
certification périodique ou la formation à la pédagogie universitaire et des
sciences de la santé comme critère de promotion, de recrutement, de nomination
ou de titularisation.
Par ailleurs, l'évaluation du volet
enseignement est une nécessité pédagogique fondamentale pour espérer la
sensibilisation et la conscientisation des enseignants à s'interroger sur leur
pratique pédagogique et d'enseignement en milieu universitaire. Hélas,
l'absence de valorisation de l'acte d'enseigner et de la reconnaissance
institutionnelle de l'investissement en enseignement constitue une barrière
majeure à l'implication et à l'engagement volontaire des enseignants en
exercice à se former en pédagogie, car « enseigner et apprendre sont des
activités interchangeables. On ne peut enseigner sans apprendre et on ne peut
apprendre sans enseigner » Elbe.
Il est fondamental de promouvoir une plus grande
participation des ressources humaines compétentes en pédagogie afin de faire
valoir leur savoir-faire et savoir agir au service de la communauté, que ce
soit « au sein ou en dehors », des structures universitaires et des facultés de
médecine, mais également pour faire obstacle à l’amateurisme et au bricolage
dans le domaine de la pédagogie, car ils sont nuisibles aux développements des
compétences. Finalement, une refondation majeure des textes et des arrêtés
ministériels régissant tous les concours de recrutement des futurs enseignants
universitaires et hospitalo-universitaires seraient plus que nécessaires pour
s'adapter à l'évolution de la réalité professionnelle et pédagogique des
pratiques d'enseignement en milieu universitaire.