Publié dans El Watan le 14 - 09 - 2018
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Le Ministère de
l’Enseignement Supérieur (MESRS) en collaboration avec le ministère de la santé
a rendu public l’arrêté interministériel du 23 aout
2017 fixant les modalités d’application de l’article 21 du décret exécutif du 3
mai 2008 portant statut particulier de l’enseignant-chercheur
hospitalo-universitaire.
Pour rappel, l’article 21 stipule que « les
enseignants chercheurs hospitalo-universitaires sont soumis à une évaluation
continue et périodique. À ce titre, ils sont tenus d'établir annuellement un
rapport sur leurs activités scientifiques, pédagogiques et de santé au terme de
I ‘année universitaire aux fins d'évaluation par les organes scientifiques et
pédagogiques habilités. Les modalités d'application du présent article sont
fixées par arrêté conjoint du ministre chargé de I ‘enseignement supérieur et du ministre chargé de la santé » .
Ma première
réflexion porte sur la lenteur à concevoir un arrêté interministériel après presque dix
ans d’attente et d’expectative. Faut-il encore s’interroger sur la manière dont
cet arrêté sera appliqué et intégré au sein de la communauté des
hospitalo-universitaires dont la formation en pédagogie fait grandement
défaut ? Ce délai d’attente aurait dû être exploité pour instaurer un plan
de développement professionnel où la culture
pédagogique servira comme matrice à l’évaluation des enseignements en milieu
hospitalo-universitaires. On se pose également la question de l’impact de ces
évaluations sur la qualité des enseignements en sciences de la santé, et sur la
qualité de la formation médicale en général et les soins de santé en
particulier. De plus et en l’absence d’expertise tant pédagogique que
docimologique, quelles sont les compétences des organes d’évaluation ? Et surtout les évaluateurs peuvent-ils se
revendiquer pour l’appliquer sur le terrain, et de mettre en œuvre cet arrêté interministériel tout en sachant
que ce processus d’évaluation répond à des normes quantitatives et non qualitatives, et
donc, avec peu impact possible sur la qualité de la formation médicale et les
soins de santé .
Par ailleurs, l’évaluation du volet
enseignement des hospitalo-universitaires est d’abord une nécessité pédagogique essentielle et fondamentale pour
espérer la sensibilisation et la conscientisation des
professionnels de la santé à s’interroger sur leur pratique pédagogique et
d’enseignement en sciences de la santé, mais également pour espérer une
mutation en faveur du développement des compétences professionnelles au service
des soins de santé de haut niveau. Hélas, l’absence de valorisation de l’acte
d'enseigner et de la reconnaissance institutionnelle de l’investissement en
enseignement sont une barrière majeure à l’implication et à l’engagement des
enseignants hospitalo-universitaire. Il aurait été plus intéressant de
concevoir l’évaluation des enseignants hospitalo-universitaires sous la forme
d’un « dossier enseignement » à caractère pédagogique avec les
dimensions qualitative et surtout réflexive. En d’autres termes, ce
processus d’évaluation nécessite l’élaboration d’un « dossier enseignement » annuel, qualitatif et
notamment réflexif par chaque médecin hospitalo-universitaire, car ce que
propose l’arrêté du 23 aout
2017 est un bilan pédagogique annuel quantitatif. Ce dernier ne
renseigne pas suffisamment sur la qualité des pratiques pédagogiques en
sciences de la santé ni sur la qualité des apprentissages en milieu
hospitalo-universitaire.
Il est reconnu
que le dossier enseignement est l’équivalent du portfolio de l’enseignant
hospitalo-universitaire qui résume ses pratiques pédagogiques en sciences de la
santé pour le volet enseignement, et il est l’équivalent du dossier recherche
pour le volet recherche. En effet, le dossier d’enseignement est un document
élaboré périodiquement par chaque enseignant hospitalo-universitaire et à
plusieurs reprises durant sa carrière professionnelle. À titre formatif, il
permet à l’enseignant de donner du sens à ses pratiques pédagogiques et de
valoriser l’acte d’enseigner ainsi que ses accomplissements en enseignement
d’une manière rétrospective et prospective. À titre sommatif, il permet
l’évaluation par l’administration universitaire à des fins de promotion, de nomination
ou de titularisation.
L’évaluation des
enseignements ou des pratiques pédagogiques est très peu développée en milieu
hospitalo-universitaire, car le modèle de promotion et de progression de
carrière est axé principalement sur le volet recherche et la publication
scientifique. En d’autres termes, malgré que les médecins hospitalo-universitaires
aient cumulé des années d’enseignement, mais c’est sur la base
de leur contribution en recherche et des parutions scientifiques qu’ils seront
évalués
et promus notamment au regard des nouvelles grilles des concours de promotion
des hospitalo-universitaires. De plus, pour les
promotions et le développement de la carrière hospitalo-universitaire et
professorale, la recherche et les publications sont souvent les critères
essentiels, et parfois les seuls critères à considérer dans le nouveau barème de
promotion des hospitalo-universitaires et de chefferie de service. De plus,
pour la progression de carrière et comme pour les demandes de subventions ou
lorsque l’enseignant hospitalo-universitaire rédige son cahier de charge et son curriculum vitae, il
procure beaucoup plus de la
visibilité à ses domaines d’intérêts notamment le volet
recherche, ses ouvrages et ses participations à des congrès ou séminaires scientifiques .
Par ailleurs, la raison
d’être du « dossier enseignement » est principalement pédagogique en
regard de la complexité de l’acte d’enseigner. En effet, enseigner la médecine
n’est pas aussi simple que l’on prétend, car l'enseignement en sciences de la santé est une
activité beaucoup plus complexe. De plus, enseigner en milieu de santé n'est
plus une activité de transmission des connaissances par le biais d'exposés
magistraux unidirectionnels ou à sens unique, car tout enseignant
hospitalo-universitaire doit pouvoir démontrer son habileté à enseigner avec
rigueur, efficacité et selon les normes modernes en sciences de l’éducation. À
cet effet, c’est certainement dans le dossier enseignement que le médecin
l’hospitalo-universitaire découvre un outil réflexif et une procédure qui lui
permet de brosser un tableau précis de ses pratiques pédagogiques.
L'utilité première du dossier enseignement est une halte
annuelle, périodique, réflexive, volontaire et personnelle à des fins
d'autoanalyses et d’assurances qualité. Cette pause permet à l’enseignant hospitalo-universitaire
d’établir le bilan et la progression de ses pratiques pédagogiques. De plus,
elle lui permet également de reconnaitre ses forces et faiblesses en matière
d’enseignement, et de réfléchir sur ses conceptions à propos de l’acte d’enseigner
en sciences de la santé. La deuxième utilité du dossier
enseignement est à des fins d’évaluation administrative et de promotion.
L’enseignant s'en sert alors comme un outil de présentation et de mise en
valeur de ses activités pédagogiques aux collègues, aux pairs, au responsable
de département, directeur de programme et aux comités pédagogiques. La troisième utilité du dossier enseignement est une valorisation de l’enseignant
hospitalo-universitaire comme acteur principal par son rayonnement en enseignement,
et par la promotion du dossier enseignement au sein de la culture pédagogique
en milieu hospitalo-universitaire.
Pour que le
dossier d’enseignement soit bien intégré au sein de la communauté des
hospitalo-universitaires, le MESRS et les doyens des facultés de
médecine devraient avoir le courage de proposer de nouveaux modèles pour
reconnaitre et récompenser les deux volets de recherche et enseignement de la
mission des facultés de médecine, et d’adopter des mesures plus égalitaires en
matière de valorisation et de promotion des enseignants
hospitalo-universitaires. Ce modèle peut prendre appui sur une parité claire et
transparente entre le dossier enseignement et le dossier recherche. Pour ce faire, le MESRS doit favoriser et
encourager la préparation, la rédaction du dossier d'enseignement et l’intégrer
dans les critères de promotion, de recrutement et de nomination par le biais
des concours hospitalo-universitaires. En d'autres termes, il est plus que
nécessaire à ce que le dossier d'enseignement occupe une place importante dans
la progression et la promotion de la carrière, et que le volet enseignement
compte autant que le volet recherche.
Par ailleurs, il est
important pour le MESRS, les doyens et les responsables des facultés de
médecine de sensibiliser, informer, organiser des colloques en pédagogie des
sciences de la santé, des formations continues sur la valorisation des
enseignements et sur le dossier enseignement à des fins d’assurance qualité et
de progression de carrière. Cette démarche doit être claire, ciblée, bien
organisée, structurée, formative et conçue par des personnes-ressources
compétentes en pédagogie appliquée en sciences de la santé. Il ne suffit pas de
décréter par un arrêté ministériel le dossier enseignement comme obligation
administrative, mais de soutenir cette démarche et initiative par des arguments
tangibles, convaincants et cohérents afin de s’assurer de l’engagement et de
l’implication des enseignants hospitalo-universitaires à réfléchir sur leurs
pratiques pédagogiques et à rédiger leurs dossiers enseignements.
De plus et pour toute faculté de
médecine, encourager un hospitalo-universitaire réfléchir sur ses pratiques pédagogiques
et à rédiger son dossier d'enseignement constitue
un signal fort de valorisation de l’acte d’enseigner et des pratiques
pédagogiques en sciences de la santé. En d’autres termes, recommander la rédaction d’un
dossier d'enseignement constitue un geste concret de la part du MESRS et de son engagement certain en faveur de l’amélioration
des enseignements. Cela constitue également un geste tangible que l’acte
d’enseigner et l’enseignement occupent
des places importantes parmi les autres missions des facultés de médecine.
Plus
importants encore, une réforme majeure des textes et des arrêtés ministériels
régissant tous les concours de recrutement des futurs enseignants
hospitalo-universitaires seraient plus que nécessaires pour s’adapter à l’évolution
de la réalité professionnelle et pédagogique des pratiques d’enseignements
universels. Finalement, la notion de certification en pédagogie et le concept
de l’épreuve pédagogique devraient être soutenus et promus comme outil de
sensibilisation, de conscientisation, de sélection et de promotion bien avant
l’organisation de tout concours de recrutement, et à tous les paliers de
l’enseignement supérieur et notamment en milieu hospitalo-universitaire.