Le dossier enseignement est le
portfolio de l'enseignant (teaching portfolio) consacré exclusivement à
l'acte d'enseigner en milieu universitaire. Il est également
l'équivalent du dossier recherche pour le volet recherche. Le dossier
d'enseignement est un document élaboré par l'enseignant à plusieurs
reprises durant sa carrière professionnelle. À titre formatif, il permet
à l'enseignant de valoriser la qualité de ses enseignements et ses
accomplissements en pédagogie universitaire d'une manière rétrospective
et prospective. À titre sommatif, il permet une évaluation par
l'administration universitaire à des fins de promotion, de recrutement,
de nomination ou de titularisation.
La plupart des universités
nord-américaines recommandent à leurs enseignants et professeurs
d'université de rédiger leur dossier d'enseignement. L'évaluation des
enseignements par les étudiants américains à Harvard, aux Etats-Unis,
est à l'origine de l'émergence du concept du dossier de l'enseignement.
Quelques années plus tard, le dossier enseignement été pris en charge
par les responsables universitaires et intégré comme outil de
valorisation pédagogique des enseignements et de promotion de carrière
des enseignants universitaires.
Ces pratiques et procédures sont très
peu développées chez nous du fait que le modèle de promotion appliqué
est axé principalement sur le volet recherche. De plus, ne sont pas
nombreuses les universités et les institutions algériennes qui disposent
de processus de rédaction du dossier enseignement comme outil de
promotion professionnel, de valorisation des enseignements et des
formations universitaires. En effet, nos enseignants universitaires ont
cumulé des années en enseignement, mais c'est sur la base de leur
contribution en recherche et en publications scientifiques qu'ils seront
évalués et promus. De plus, pour le recrutement des enseignants
universitaires, les promotions et le développement de la carrière
professorale, la recherche est le plus souvent le critère essentiel, et
c'est parfois le seul critère à considérer.
Pour la mobilité
professionnelle comme pour le renouvèlement des contrats pour les
chargés de cours ou pour les demandes de subventions, lorsqu'un
enseignant ou un professeur rédige son cahier des charges, son
curriculum vitae ou son portfolio, il met notamment en évidence ses
domaines d'intérêts en recherche, ses publications scientifiques, ses
participations à des séminaires et ses nombres d'heures ou d'années
d'enseignement. Hélas, aucun de ces éléments ne reflète la qualité du
dossier enseignement, ni de l'acte d'enseigner ou des enseignements, y
compris le nombre d'années d'enseignements. Ce dernier représente une
pondération quantitative et non qualitative, et il ne nous renseigne en
rien sur la richesse du dossier enseignement, ni sur les habilités à
enseigner ni sur la qualité pédagogique de l'acte d'enseigner. La
composante pédagogique est simplement ignorée, voire dévalorisée, ce qui
permet de promouvoir et de rehausser la compétence de chercheur et non
pas celle d'enseignant universitaire.
Durant tout son parcours
professionnel, un enseignant universitaire ne rédigera probablement un
dossier d'enseignement que trois ou quatre fois. Il l'utilise pour
réfléchir sur ses activités d'enseignement, et pour démontrer de façon
explicite la qualité de son acte d'enseigner à des fins d'assurance
qualité et de promotion. Hélas, l'absence de reconnaissance
institutionnelle de l'investissement en enseignement est une barrière
essentielle et majeure à l'implication et à l'engagement des enseignants
en faveur du dossier enseignement.
De plus, l'absence de la culture
d'évaluation institutionnelle des enseignements par les étudiants
représente également un obstacle à l'émergence du dossier enseignement
comme outil d'amélioration de l'acte d'enseigner en milieu
universitaire. En d'autres termes, les processus et modalités
d'évaluation des enseignements par les étudiants dans les établissements
du supérieur sont quasiment absents. Pour évaluer les enseignements, il
faut aussi doter les structures universitaires en intervenants
compétents en pédagogie universitaire, et en mesure et évaluation. La
raison d'être du dossier enseignement est principalement pédagogique au
regard de la complexité de l'acte d'enseigner en milieu universitaire.
Enseigner n'est pas aussi simple que l'on prétend. De plus, les
enseignants ne disposent pas de suffisamment de ressources pédagogiques
nécessaires et ils n'utilisent pas les bonnes méthodes d'enseignement et
stratégies d'apprentissage pour procurer des enseignements de qualité
centrés sur les étudiants. Par le passé, la plupart des enseignants
enseignent selon un modèle traditionnel basé sur la transmission des
connaissances. Ce dernier est plus ou moins planifié, voire improvisé
et, parfois, fait appel au bon sens et à l'intuition.
Actuellement,
l'enseignement est une activité beaucoup plus complexe. Tout enseignant
doit pouvoir démontrer de manière concrète son habileté à enseigner avec
rigueur, efficacité et selon les normes modernes en sciences de
l'éducation. Enseigner à l'université n'est plus seulement une activité
de transmission des connaissances par le biais d'exposés magistraux
unidirectionnels ou à sens unique. L'enseignant est amené à animer des
études de cas, à concevoir et à superviser des laboratoires, encadrer
des stages et des projets en équipe, et à organiser des ateliers et des
séances d'apprentissage par problèmes. Ces activités pédagogiques ont un
impact direct sur la prestation de son enseignement, l'évaluation des
apprentissages et notamment sur la qualité de la formation
universitaire.
Désormais, enseigner à l'université exige de tenir
compte des besoins de la réalité professionnelle et de procurer des
enseignements centrés sur l'apprenant et les apprentissages. Ces
derniers nécessitent des stratégies pédagogiques interactives,
dynamiques et assurant le développement non seulement l'expertise
disciplinaire, mais également des compétences organisationnelles,
relationnelles et communicationnelles. Cette nouvelle perspective exige
de l'enseignant la planification et l'organisation d'une variété
d'activités pédagogiques riches et diversifiées. À cet effet,
l'enseignant découvre dans le dossier d'enseignement un outil et une
procédure qui lui permet de brosser un tableau précis sur la complexité
de l'acte d'enseigner et de prouver ces compétences pédagogiques à la
résoudre.
L'utilité première du dossier enseignement est un arrêt
réflexif, volontaire et personnel de l'enseignant à des fins
d'auto-analyses, d'assurances qualité et d'amélioration des
enseignements et des formations universitaires. Cette pause réflexive
permet à l'enseignant d'établir un bilan de sa carrière professionnelle
et de sa progression en enseignement. Il lui permet également de
reconnaître ses forces et faiblesses en enseignement, de traduire sa
vision à propos de l'acte d'enseigner et de mettre en valeur ses
réalisations pédagogiques. La deuxième utilité du dossier enseignement
est à des fins d'évaluations administratives et de promotion
universitaire.
L'enseignant s'en sert alors comme un outil de
présentation et de mise en valeur de ses activités pédagogiques aux
collègues, aux pairs, au directeur de département, au responsable de
programme et aux comités d'évaluation. La troisième utilité du dossier
enseignement est une valorisation de l'enseignant, comme acteur
principal, par son rayonnement en enseignement, par sa contribution à
l'établissement et par sa promotion du dossier enseignement au sein de
la culture universitaire.
Pour que le dossier d'enseignement soit
introduit puis appliqué en Algérie, le ministère de l'Enseignement
supérieur (MESRS) et les autorités universitaires devraient avoir le
courage de proposer de nouveaux modèles pour reconnaître et récompenser
les deux volets recherche et enseignement de la mission universitaire et
d'adopter des mesures plus égalitaires en matière de valorisation et de
promotion des enseignants. Ce modèle peut prendre appui sur une parité
claire et transparente entre le dossier enseignement et le dossier
recherche.
Pour ce faire, le ministère de l'enseignement supérieur
(MESRS) doit favoriser et encourager la préparation, la rédaction du
dossier d'enseignement et l'intégrer dans les critères de promotion
professionnelle, de recrutement, de nomination ou de renouvellement de
contrat des chargés de cours. En d'autres termes, il est plus que
nécessaire à ce que le dossier d'enseignement occupe une place
importante dans la progression de la carrière professorale et que le
volet enseignement compte autant que le volet recherche.
Il est
impératif à ce que le dossier enseignement reflète l'excellence en
enseignement et qu'il soit connu et reconnu respectivement par les pairs
et l'administration universitaire pour les enseignants qui se
distinguent, et en leur attribuant des prix d'encouragement. À ce titre,
il faudrait instaurer un prix d'excellence en enseignement au niveau de
chaque université afin de promouvoir le dossier enseignement au sein de
la communauté universitaire.
Il est important pour le ministère de
l'Enseignement supérieur (MESRS) et les responsables des établissements
universitaires de sensibiliser, informer, organiser des colloques, des
formations continues sur la valorisation des enseignements et sur le
dossier enseignement à des fins d'assurance qualité et de progression de
carrière. Cette démarche doit être claire, ciblée, bien organisée,
structurée, formative et conçue par des personnes compétentes en
pédagogie universitaire. Il ne suffit pas de décréter le dossier
enseignement comme une obligation administrative, mais de soutenir cette
démarche et initiative par des arguments tangibles, convaincants et
cohérents afin de s'assurer de l'engagement et de l'implication des
enseignants à rédiger leurs dossiers enseignement.
L'amélioration des
enseignements ne peut se concevoir sans le soutien, l'implication et la
collaboration pragmatique du ministère de l'Enseignement supérieur
(MESRS), et d'ordre pratico-pratique des responsables universitaires. En
effet, les stratégies les plus efficaces pour améliorer les
enseignements sont principalement et respectivement la reconnaissance
explicite de la promotion universitaire ainsi que les gestes concrets,
et les contributions des recteurs des établissements et les doyens des
universités pour valoriser l'acte d'enseigner et l'enseignement.
Pour
un établissement du supérieur, encourager les enseignants à rédiger un
dossier d'enseignement constitue un signal fort de valorisation de
l'enseignement. En d'autres termes, recommander la rédaction d'un
dossier d'enseignement constitue un geste concret de la part du
ministère de l'Enseignement supérieur (MESRS) et de son engagement
certain en faveur de l'amélioration des enseignements. Cela constitue
également un geste tangible que l'acte d'enseigner et l'enseignement
occupent des places importantes parmi les autres missions de
l'université. Finalement, il est essentiel à ce que le ministère de
l'Enseignement supérieur (MESRS) révise les normes de progression des
carrières tout en intégrant la certification ou la formation à la
pédagogie universitaire comme critère de promotion, de recrutement, de
nomination ou de titularisation.