Publié dans El Watan le 07 - 08 - 2017
Le curriculum de formation médicale est
le parcours pédagogique nécessaire pour tout apprenant admis à
l'intérieur d'un projet d'apprentissage en sciences de la santé dont la
finalité est de fournir à la société des médecins compétents et
autonomes.
A cet effet, chaque faculté de médecine
est responsable de l'ensemble du cheminement pédagogique des apprenants
qui lui sont confiés par la société, et cela pour toute la durée du
programme de formation. Pour toute faculté de médecine, l'apprenant en
sciences de la santé doit être au cœur de sa préoccupation pédagogique
tant sur le plan des enseignements que celle des apprentissages.
On
attend souvent des futurs médecins qu'ils accordent une très grande
importance à la qualité du service médical qu'ils offrent aux patients,
mais cela passe par la qualité de la formation médicale. Pour ce faire,
une réforme profonde du curriculum de formation médicale et pédagogique
est nécessaire, car la qualité de l'expertise médicale et surtout de
l'expertise pédagogique des formateurs hospitalo-universitaires sont
primordiales pour espérer une amélioration de la qualité des
apprentissages en sciences de la santé.
Hélas, les facultés de
médecine n'arrivent pas à procurer des apprentissages de qualité selon
les normes pédagogiques en vigueur, car le curriculum de formation n'est
pas adapté ni aux besoins de soins de santé ni aux pratiques
pédagogiques en sciences de la santé, car les problématiques du
curriculum de formation médicale sont multidimensionnelles. Elles
relèvent respectivement des carences de la politique éducative en
sciences de la santé autant que de l'absence de vision sur les buts et
les objectifs de la formation médicale.
Elles sont dues également à
la mutation des rôles sociaux des facultés de médecine, à la
massification des apprenants admis en sciences de la santé, à
l'évolution des besoins des soins de santé, à l'absence de
professionnalisation du corps des enseignants, à l'absence des méthodes
d'apprentissage et d'enseignement, et finalement à l'absence de normes
d'évaluation des apprentissages et des programmes de formation en
sciences de la santé.
En d'autres termes, le curriculum de formation
actuel est obsolète et ne répond plus aux besoins pédagogiques de
formation des apprenants et des formateurs en milieu médical. Il est
plus que nécessaire d'entamer sa réforme profonde afin de résoudre les
problématiques sus-citées.
Il est nécessaire de réformer le
curriculum de formation médicale depuis les normes d'admission des
apprenants en sciences de la santé jusqu' à la finalité du produit de
formation : médecin compétent et autonome. En d'autres termes, les
différentes étapes de formation et de la progression curriculaire
doivent être revisitées depuis le cycle préclinique, clinique et de
spécialisation médicale en sciences de la santé.
C'est dans ce
contexte que cette contribution se propose de suggérer des pistes
pédagogiques à la conférence des doyens des facultés de médecine et aux
responsables du ministère de l'Enseignement supérieur en vue de la
réforme du curriculum de formation médicale tant attendu par la
communauté universitaire, mais également par la société.
La réforme
du curriculum de formation doit être systémique, globale et intégratrice
des besoins pédagogiques de formation en sciences de la santé ainsi que
les besoins de soins de santé de la population. Il est important de
signaler que toute réforme curriculaire doit être basée sur un processus
de planification pédagogique rigoureux, de longue haleine sur une
période de 1 à 2 ans de réflexion profonde et sans aucune précipitation,
et doit être soutenue et accompagnée par des experts en pédagogie des
sciences de la santé.
Les contributions des intervenants en santé et
des réflexions profondes doivent être engagées de manière systémique et
globale, car il ne suffit pas de tracer l'architecture du curriculum de
formation, mais également d'engager d'autres réformes en parallèle dans
d'autres domaines tels que la réforme des pratiques pédagogiques des
apprentissages et des enseignements en sciences de la santé, la révision
des normes d'évaluation des apprentissages selon des critères
docimologiques reconnus et finalement l'instauration de plan de
développement professoral continu (DPC) en pédagogie médicale dite aussi
pédagogie appliquée en sciences de la santé.
Les propositions
ci-dessous ne sont que des axes pédagogiques centraux qui nécessitent
également d'être développés par des réflexions pour la maturation du
projet de réforme curriculaire. Il ne suffit pas de copier-coller,
d'intégrer ou d'adopter un curriculum de formation médicale clé en main
émanant d'autres facultés de médecine européennes, mais d'adapter un
curriculum de formation suite à une analyse des besoins institutionnels
de formation dans notre pays, et selon les normes de pratiques
pédagogiques en vigueur, notamment nord-américaine.
La première
proposition est de revoir les normes d'admission en sciences de la santé
afin de l'adapter aux besoins pédagogiques des apprenants, aux besoins
des soins de santé de la population, et de la capacité d'accueil et de
formation des facultés de médecine. En d'autres termes, la disponibilité
de ressources humaines compétentes pour l'encadrement pédagogique des
apprentissages doit être en adéquation avec le nombre d'apprenants admis
en sciences de la santé.
Former en masse n'attribue pas forcément au
curriculum de formation des apprentissages de qualité, d'autant que les
formateurs ne sont pas formés aux pratiques pédagogiques modernes. En
effet, il faut l'ajuster avec la capacité de formation des facultés de
médecine, les habiletés pédagogiques des formateurs et les normes
d'accueil de stage clinique en milieu de santé. Une équation difficile à
résoudre et qui nécessite une prise de décision politique et
pédagogique courageuse et ciblée.
La deuxième proposition est la
réforme des pratiques pédagogiques en sciences de la santé ainsi que la
valorisation de l'acte d'enseigner pour espérer une mutation en faveur
de l'amélioration des apprentissages en sciences de la santé. En effet,
une réforme profonde des pratiques pédagogiques est plus que
fondamentale pour accompagner et espérer une réussite de n'importe quel
curriculum de formation médicale, sans cela, les programmes
disciplinaires connaîtront un échec certain.
De plus, la
massification des effectifs en sciences de la santé et la charge des
activités des soins des médecins hospitalo-universitaires sont un
obstacle à la qualité des apprentissages et des enseignements, d'autant
qu'il n'existe pas une valorisation de la pratique de l'acte d'enseigner
ni en sciences de la santé ni en milieu universitaire. Il faut stimuler
et motiver la formation du corps professoral ou des enseignants à la
pédagogie appliquée en sciences de la santé par la création de cellules
de soutien pédagogique dans chaque faculté de médecine en faisant appel à
des experts en pédagogie et spécifiquement en sciences de la santé.
La
troisième proposition est la réforme pédagogique du cursus préclinique
et clinique selon une approche programme et une approche par compétence.
Les contenus disciplinaires doivent être revus et adaptés à la réalité
sociale et pédagogique de la formation médicale dans notre pays. Il
n'est plus nécessaire de proposer des contenus sans impact sur la
qualité des apprentissages ni sur la qualité finale des soins de santé.
Un
cursus préclinique sur 2 ans est suffisant à condition de revoir en
profondeur la planification pédagogique de chaque programme
disciplinaire, les méthodes d'enseignement et des apprentissages qui
accompagnent le processus de réforme du curriculum de formation
médicale. Un cycle clinique de 3 ans ponctué par des stages cliniques en
milieu hospitalier avec une exposition soutenue à des situations
cliniques riches et variés selon les buts et les objectifs
d'apprentissage pour chaque stage clinique de formation au sein de
chaque programme disciplinaire ou spécialité médicale.
Une réforme
profonde des normes d'encadrement pédagogique des apprentissages, de
supervisions cliniques, des méthodes d'évaluation des apprentissages et
des stages cliniques est plus que fondamentale pour espérer une
amélioration de la prise en charge pédagogique adéquate des apprenants
au cycle clinique.
Une approche par compétence nécessite également la
formation des formateurs aux pratiques pédagogiques modernes en
sciences de la santé telle que l'Atelier raisonnement clinique (ARC),
Apprentissage par problème (APP), l'évaluation des apprentissages et aux
méthodes d'enseignement adaptés à chaque étape du processus de réforme
du curriculum de formation. On se rend compte à ce stade de la réflexion
que la formation à la pédagogie médicale est la matrice qui doit
accompagner et soutenir toute réforme curriculaire en sciences de la
santé.
La quatrième proposition est la suppression du cycle
d'internat et de sa modalité d'évaluation obsolète basée sur un rapport
de recherche trimestriel, et qui ne reflète ni la qualité des
apprentissages ni la qualité des soins de santé. Durant ces stages
d'internat, les apprenants sont souvent livrés à eux-mêmes suite à la
charge des activités hospitalières des médecins, mais aussi par le
manque d'encadrement et de compétences pédagogiques.
En d'autres
termes, la prise en charge de l'apprenant et la supervision clinique
sont souvent reléguées à des résidents de médecine ou à des assistants
de santé publique sans aucune formation pédagogique en enseignement ou
en supervision clinique. Il en est de même pour les médecins
hospitalo-universitaires.
La cinquième proposition est d'introduire
une nouvelle spécialité dite médecine de famille suite à un concours
d'admission dès la cinquième année d'une durée de 2 ans et d'augmenter
les autres spécialités médicales d'une année ou de deux années
supplémentaires. Les critères d'admission doivent être basés sur des
normes d'évaluation continue du dossier académique durant les cinq
années de formation aux cycles cliniques et précliniques avant le
concours de spécialisation en médecine de famille. Le concours doit
également être ponctué par des entrevues d'admission afin de jauger les
motivations et les habiletés cliniques en vue d'une admission dans un
programme de formation, quelle que soit la spécialité médicale.
Cette
modeste contribution ne trace que les grandes lignes de cette double
réforme curriculaire et pédagogique en sciences de la santé, mais il
faut encore développer et approfondir chaque axe et de résoudre les
problématiques émergentes spécifiques pour chaque proposition. Il est
impératif d'attribuer suffisamment de temps de réflexion et de
maturation à cette réforme curriculaire. Il est également important de
prévoir une réforme des programmes disciplinaires de toutes les
spécialités médicales.
En d'autres termes, il faut promouvoir la
planification et la réingénierie de tous les programmes disciplinaires
en sciences de la santé selon les normes pédagogiques en vigueur. La
réforme curriculaire doit être accompagnée par une réforme pédagogique
profonde avec l'instauration d'un Plan de développement pédagogique
continu (PDPC) à des fins de professionnalisation du corps des
enseignants en milieu de santé.
De plus, l'accès à tous les grades
hospitalo-universitaires doit être conditionné à une certification
périodique en pédagogie médicale par un organisme de formation autonome
reconnue. Finalement, même si la réforme curriculaire se fera selon les
normes pédagogiques reconnues, il faut patienter quelques années pour
observer l'émergence d'une culture pédagogique en sciences de la santé
et une mutation en faveur de l'amélioration de la qualité de la
formation médicale.