Le ministère de l'Enseignement
supérieur et de la Recherche scientifique, en collaboration avec le
ministère de la Santé, a rendu public l'arrêté interministériel du 23
août 2017 fixant les modalités d'application de l'article 21 du décret
exécutif du 3 mai 2008 portant statut particulier de
l'enseignant-chercheur hospitalo-universitaire.
Pour rappel, l'article 21 stipule
que «les enseignants- chercheurs hospitalo-universitaires sont soumis à
une évaluation continue et périodique. A ce titre, ils sont tenus
d'établir annuellement un rapport sur leurs activités scientifiques,
pédagogiques et de santé au terme de l'année universitaire, aux fins
d'évaluation par les organes scientifiques et pédagogiques habilités.
Les modalités d'application du présent article sont fixées par arrêté
conjoint du ministre chargé de l'Enseignement supérieur et du ministre
chargé de la Santé».
Ma première réflexion porte sur la lenteur à
concevoir un arrêté interministériel après presque dix ans d'attente et
d'expectative. Faut-il encore s'interroger sur la manière dont cet
arrêté sera appliqué et intégré au sein de la communauté des
hospitalo-universitaires, dont la formation en pédagogie fait grandement
défaut.
Ce délai d'attente aurait dû être exploité pour instaurer un
plan de développement professionnel, où la culture pédagogique
servirait de matrice à l'évaluation des enseignements en milieu
hospitalo-universitaire. On se pose également la question de l'impact de
ces évaluations sur la qualité des enseignements en sciences de la
santé et sur la qualité de la formation médicale en général et les soins
de santé en particulier. De plus, et en l'absence d'expertise tant
pédagogique que docimologique, quelles sont les compétences des organes
d'évaluation ? Et surtout, les évaluateurs peuvent-ils se revendiquer
pour l'appliquer sur le terrain et mettre en œuvre cet arrêté
interministériel, tout en sachant que ce processus d'évaluation répond à
des normes quantitatives et non qualitatives, et donc avec peu d'impact
possible sur la qualité de la formation médicale et les soins de santé.
Par
ailleurs, l'évaluation du volet enseignement des
hospitalo-universitaires est d'abord une nécessité pédagogique
essentielle et fondamentale pour espérer la sensibilisation et la
conscientisation des professionnels de la santé à s'interroger sur leur
pratique pédagogique et d'enseignement en sciences de la santé, mais
également pour espérer une mutation en faveur du développement des
compétences professionnelles au service des soins de santé de haut
niveau. Hélas, l'absence de valorisation de l'acte d'enseigner et de la
reconnaissance institutionnelle de l'investissement en enseignement est
une barrière majeure à l'implication et à l'engagement des enseignants
hospitalo-universitaires.
Il aurait été plus intéressant de concevoir
l'évaluation des enseignants hospitalo-universitaires sous la forme
d'un dossier enseignement à caractère pédagogique avec les dimensions
qualitative et surtout réflexive. En d'autres termes, ce processus
d'évaluation nécessite l'élaboration d'un dossier enseignement annuel,
qualitatif et notamment réflexif par chaque médecin
hospitalo-universitaire, car ce que propose l'arrêté du 23 août 2017 est
un bilan pédagogique annuel quantitatif. Ce dernier ne renseigne pas
suffisamment sur la qualité des pratiques pédagogiques en sciences de la
santé ni sur la qualité des apprentissages en milieu
hospitalo-universitaire.
Il est reconnu que le dossier enseignement
est l'équivalent du portfolio de l'enseignant hospitalo-universitaire,
qui résume ses pratiques pédagogiques en sciences de la santé pour le
volet enseignement, et il est l'équivalent du dossier recherche pour le
volet recherche. En effet, le dossier d'enseignement est un document
élaboré périodiquement par chaque enseignant hospitalo-universitaire et à
plusieurs reprises durant sa carrière professionnelle. A titre
formatif, il permet à l'enseignant de donner du sens à ses pratiques
pédagogiques et de valoriser l'acte d'enseigner, ainsi qu'à ses
accomplissements en enseignement d'une manière rétrospective et
prospective. A titre sommatif, il permet l'évaluation par
l'administration universitaire à des fins de promotion, de nomination ou
de titularisation.
L'évaluation des enseignements ou des pratiques
pédagogiques est très peu développée en milieu hospitalo-universitaire,
car le modèle de promotion et de progression de carrière est axé
principalement sur le volet recherche et la publication scientifique. En
d'autres termes, bien que les médecins hospitalo-universitaires aient
accumulé des années d'enseignement, c'est sur la base de leur
contribution en recherche et des parutions scientifiques qu'ils seront
évalués et promus, notamment au regard des nouvelles grilles des
concours de promotion des hospitalo-universitaires.
De plus, pour les
promotions et le développement de la carrière hospitalo-universitaire
et professorale, la recherche et les publications sont souvent les
critères essentiels, et parfois les seuls à être considérés dans le
nouveau barème de promotion des hospitalo-universitaires et de chefferie
de service. De plus, pour la progression de carrière, comme pour les
demandes de subventions ou lorsque l'enseignant hospitalo-universitaire
rédige son cahier des charges et son curriculum vitae, il procure
beaucoup plus de la visibilité à ses domaines d'intérêt, notamment le
volet recherche, ses ouvrages et ses participations à des congrès ou
séminaires scientifiques.
Par ailleurs, la raison d'être du dossier
enseignement est principalement pédagogique au regard de la complexité
de l'acte d'enseigner. En effet, enseigner la médecine n'est pas aussi
simple qu'on le prétend, car l'enseignement en sciences de la santé est
une activité beaucoup plus complexe. De plus, enseigner en milieu de
santé n'est plus une activité de transmission des connaissances par le
biais d'exposés magistraux unidirectionnels ou à sens unique, car tout
enseignant hospitalo-universitaire doit pouvoir démontrer son habileté à
enseigner avec rigueur, efficacité et selon les normes modernes en
sciences de l'éducation. A cet effet, c'est certainement dans le dossier
enseignement que le médecin hospitalo-universitaire découvre un outil
réflexif et une procédure qui lui permettent de brosser un tableau
précis de ses pratiques pédagogiques.
L'utilité première du dossier
enseignement est une halte annuelle, périodique, réflexive, volontaire
et personnelle à des fins d'auto-analyse et d'assurance qualité. Cette
pause permet à l'enseignant hospitalo-universitaire d'établir le bilan
et la progression de ses pratiques pédagogiques. De plus, elle lui
permet également de reconnaître ses forces et ses faiblesses en matière
d'enseignement et de réfléchir sur ses conceptions à propos de l'acte
d'enseigner en sciences de la santé.
La deuxième utilité du dossier
enseignement est l'évaluation administrative et de promotion.
L'enseignant s'en sert alors comme un outil de présentation et de mise
en valeur de ses activités pédagogiques aux collègues, aux pairs, au
responsable de département, directeur de programme et aux comités
pédagogiques. La troisième utilité du dossier enseignement est une
valorisation de l'enseignant hospitalo-universitaire comme acteur
principal par son rayonnement en enseignement, et par la promotion du
dossier enseignement au sein de la culture pédagogique en milieu
hospitalo-universitaire.
Pour que le dossier d'enseignement soit bien
intégré au sein de la communauté des hospitalo-universitaires, le MESRS
et les doyens des facultés de médecine devraient avoir le courage de
proposer de nouveaux modèles pour reconnaître et récompenser les deux
volets de recherche et enseignement de la mission des facultés de
médecine et d'adopter des mesures plus égalitaires en matière de
valorisation et de promotion des enseignants hospitalo-universitaires.
Ce modèle peut prendre appui sur une parité claire et transparente entre
le dossier enseignement et le dossier recherche. Pour ce faire, le
MESRS doit favoriser et encourager la préparation, la rédaction du
dossier d'enseignement et l'intégrer dans les critères de promotion, de
recrutement et de nomination par le biais des concours
hospitalo-universitaires. En d'autres termes, il est plus que nécessaire
que le dossier d'enseignement occupe une place importante dans la
progression et la promotion de la carrière et que le volet enseignement
compte autant que le volet recherche.
Par ailleurs, il est important
pour le MESRS, les doyens et les responsables des facultés de médecine
de sensibiliser, informer, organiser des colloques en pédagogie des
sciences de la santé, des formations continues sur la valorisation des
enseignements et sur le dossier enseignement à des fins d'assurance
qualité et de progression de carrière. Cette démarche doit être claire,
ciblée, bien organisée, structurée, formative et conçue par des
personnes-ressources compétentes en pédagogie appliquée en sciences de
la santé. Il ne suffit pas de décréter par un arrêté ministériel le
dossier enseignement comme une obligation administrative, mais de
soutenir cette démarche et cette initiative par des arguments tangibles,
convaincants et cohérents afin de s'assurer de l'engagement et de
l'implication des enseignants hospitalo-universitaires à réfléchir sur
leurs pratiques pédagogiques et à rédiger leurs dossiers enseignements.
De
plus, et pour toute faculté de médecine, encourager un
hospitalo-universitaire à réfléchir sur ses pratiques pédagogiques et à
rédiger son dossier d'enseignement constitue un signal fort de
valorisation de l'acte d'enseigner et des pratiques pédagogiques en
sciences de la santé. En d'autres termes, recommander la rédaction d'un
dossier d'enseignement constitue un geste concret de la part du MESRS et
de son engagement certain en faveur de l'amélioration des
enseignements. Cela constitue également un geste tangible que l'acte
d'enseigner et l'enseignement occupent des places importantes parmi les
autres missions des facultés de médecine.
Plus important encore, une
réforme majeure des textes et des arrêtés ministériels régissant tous
les concours de recrutement des futurs enseignants
hospitalo-universitaires serait plus que nécessaire pour s'adapter à
l'évolution de la réalité professionnelle et pédagogique des pratiques
d'enseignements universels. Finalement, la notion de certification en
pédagogie et le concept de l'épreuve pédagogique devraient être soutenus
et promus comme outils de sensibilisation, de conscientisation, de
sélection et de promotion bien avant l'organisation de tout concours de
recrutement, et à tous les paliers de l'enseignement supérieur et
notamment en milieu hospitalo-universitaire.